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Ce livre est le récit à la première personne d’une immersion de trente années au cœur du bouddhisme tibétain, de 1985 à 2015. Scientifique de formation, Olivier Raurich rencontre le Dalaï Lama, devient interprète et traducteur de Sogyal Rinpoché et d’autres grands lamas, enseignant bouddhiste et président de Rigpa France. Très vite, il entretient une relation maître-disciple privilégiée avec Sogyal Rinpoché, personnage totalement hors du commun à la fois par son rayonnement et ses extravagances.

 

Il nous emmène avec lui à travers l’éblouissement de la découverte, les initiations reçues, la rencontre avec de magnifiques figures de sagesse et de compassion ; l’épopée du Livre Tibétain de la Vie et de la Mort, prodigieuse diffusion du bouddhisme dans le monde Occidental à partir de sa parution en 1993. Mais aussi, les difficultés traversées, les scènes d’entraînement direct avec le maître, l’atmosphère parfois délirante qui règne dans ce milieu parfois sulfureux. Il nous fait découvrir de l’intérieur le vajrayana, spécifique au bouddhisme tibétain, où la dévotion inconditionnelle au maître est de mise : ce monde invraisemblable où la plus haute sagesse du bouddhisme se mêle inextricablement avec la tradition tibétaine, sa hiérarchie, ses abus et ses superstitions.

 

Il raconte, au fil des années, les dérives progressives de Sogyal, sa mégalomanie et les abus sexuels dans les dernières années de son règne : Celles-ci l’amènent finalement à rompre avec Sogyal et le dénoncer publiquement. Le livre se termine par la chute finale de Sogyal en 2017 suite à sa condamnation (tardive !) par le Dalaï Lama, et les perspectives de diffusion de la sagesse bouddhiste dans le cadre éthique et culturel contemporain.

 

Le récit direct est émaillé d’analyses du mécanisme d’aliénation religieuse à l’œuvre dans les institutions bouddhistes tibétaines, qui a permis une telle accumulation d’abus, notamment sexuels. Mais il rend également justice à l’œuvre historique de diffusion du bouddhisme par l’ensemble de la communauté tibétaine, et à la contribution capitale de cette sagesse pour le bien de l’humanité.

 

Un témoignage de première main de l’ambivalence qui règne dans toutes les aventures humaines, y compris en quête de sagesse et d’Éveil.

 

 

Deux extraits du livre 

LA RETRAITE D’ÉTÉ 1985

Août 1985, Queyras, Alpes du Sud. Un décor de Western dans les Rocheuses : Ciel pur, soleil méridional, vallée perdue à 1700 m d’altitude. Crêtes et pics dentelés à l’horizon, torrents sauvages, blocs erratiques, alpages. Nous sommes au village de Brunissard, juste sous le col de l’Isoard.

 

Cela s’appelle une retraite, mais l’ambiance ressemble à celle des grands rassemblements de Taizé en Bourgogne : beaucoup de convivialité et de liberté. AÀ l’époque Sogyal Rinpoché est nomade comme son peuple d’origine, les Khampas du Tibet Oriental : chaque été il migre dans un endroit différent. Sur la seule grande prairie plate de la vallée, une immense tente blanche pour 500 personnes est dressée. Camping sauvage pour moi dans la pinède aux alentours, au bord d’un ruisseau.

 

Sogyal Rinpoché donne cet été-là un enseignement sur trois thèmes : la méditation, le dzogchen, et Padmasambhava. Ce dernier est un maître spirituel légendaire, figure tutélaire des Tibétains qui l’appellent « le Second Bouddha » ; il a amené le bouddhisme de l’Inde au Tibet au VIIIème siècle ap.J.C. Pour l’occasion, Sogyal a fait venir Nyoshul Khenpo Rinpoché, vieux yogi émacié vêtu d’une robe jaune éclatante ; toujours modeste, rayonnant et facétieux. Issu de famille pauvre, il a vécu au Tibet puis en exil une vie de yogi errant et mendiant. Un sourire extraordinaire illumine les mille rides de son visage parcheminé. Nyoshul Khenpo parle très peu, d’une voix cassée ; nous avons des sessions d’une heure de méditation silencieuse avec lui dans la prairie entourée de cimes. Il est face à nous, souriant au début puis vite impavide et marmoréen. Il donne l’impression d’être déjà dans un ailleurs transcendant, de faire effort pour revenir se relier à nous, nous sourire et nous transmettre quelques rayons d’un monde de clarté. Chaque année jusqu’à sa mort, il reviendra lors des grands rassemblements de Rigpa et l’impression sera toujours aussi forte.

 

Quelques années plus tard, au retour d’une grande retraite de Noël en Allemagne près de Francfort, je le conduis dans ma petite 205 Junior Peugeot pleine de bagages toute une journée jusqu’à Paris. Au moment de le quitter je croise fugitivement son regard… Le vieil homme affable et discret se transfigure le temps d’un éclair, ses yeux brillent d’un feu intemporel. A travers les âges et les cultures, au hasard d’une rencontre si improbable, le vieux yogi des plateaux enneigés du Tibet, à l’automne de sa vie, a fait le plus beau des cadeaux à l’étudiant scientifique et sportif parisien en quête de sens et d’absolu : tel le flambeau olympique, il lui a passé la flamme immortelle de rigpa, la conscience primordiale. Nous serons nombreux à avoir les larmes aux yeux en évoquant Nyoshul Khenpo Rinpoché, tout au long de notre vie.

 

 

 

 

 

L’ENTOURAGE DU MAÎTRE

1995, Courbevoie. Lors de ses passages à Paris,  Sogyal Rinpoché réside à Courbevoie dans un grand appartement d’une résidence moderne ; il en possède un autre à Montmartre, un petit deux-pièces au dernier étage avec une vue époustouflante sur Paris. Il est 17h environ, je viens le voir pour travailler sur des notes que je devrai traduire en live lors de l’enseignement public de la soirée à venir.  Il est toujours assis en position élevée, en tous lieux il s’arrange pour marquer sa prééminence, à la manière d’un personnage de rang supérieur. Tout ce qui touche à sa personne doit être très méticuleusement traité : ses vêtements, les sièges, la vaisselle qu’il utilise… Envoyer quelqu’un sillonner tout Paris pendant une journée entière pour acheter un objet banal, comme un papier à lettre particulier ou un fil à coudre d’une certaine couleur, faire venir trois voitures avec conducteurs alors qu’une seule sera utilisée au bout du compte, tout cela ne lui pose aucun problème, au contraire. Lors de ses visites, différentes viandes et autres mets sont achetés et préparés, pour qu’il puisse choisir son menu au dernier moment ; tout ce qui reste (la plus grande partie) est distribué aux disciples qui le consomment religieusement.  Au moment où j’entre, Il est en caleçon, sa bedaine impressionnante et imberbe dépasse largement. uUne jeune femme le masse énergiquement, une autre tente simultanément d’obtenir des réponses à des questions semble-t-il urgentes. Certaines s’occupent de repasser et ranger ses affaires. Deux autres encore préparent plusieurs viandes et plats différents, car il choisira au dernier moment. La plus grande partie, qui n’est pas consommée, sera donnée à toute l’équipe : manger après le maître est une grande bénédiction. « Rinpoche food ! » viendront-elles claironner à la ronde en tendant un plateau où chacun prélèvera cérémonieusement une parcelle.

 

Une grande fille blonde longiligne au look de top model élégante et déprimée se déplace mollement sans participer à rien, seulement occupée de parfaire une énième fois son maquillage ; on devine qu’elle deviendra plus active cette nuit, après l’enseignement. Deux chauffeurs différents se tiennent prêts à partir (au cas où une voiture tomberait en panne… être toujours prêt à tout, c’est une devise de Rigpa). Il a l’air mécontent : il claque des doigts, exige un objet, se plaint de la lenteur de l’exécution. Il a donné des surnoms : les filles s’appellent Minou, Lily, Tina, ce qui n’est pas sans évoquer des maisons closes d’autrefois dans les films des années 50. Il a surnommé l’un des conducteurs, un anglais frisotté, « dumb dumb » (idiot en anglais), pour stigmatiser son manque de réactivité. Tous ces gens sont des disciples proches, très engagés : en leur fournissant l’occasion de le servir d’une manière quelconque, en les rudoyant, il leur permet d’accumuler beaucoup de mérite, il les « entraîne » à être plus conscients, rapides et efficaces dans la vie. Quel privilège ! Les autres étudiants les regardent de loin avec envie. Peut-être vont-ils, grâce à cela, progresser très vite spirituellement ?

 

Bien des années plus tard, au moment de ma rupture, ma conviction que quelque chose ne va pas viendra aussi de cette constatation : Les disciples qui ont tout abandonné pendant plusieurs décennies pour servir presque jour et nuit Sogyal Rinpoché ne montrent aucun signe de réalisation spirituelle, au contraire : ils se sont étiolés, certains sont en burn-out sévère, d’autres finissent amers. Quant aux victimes d’abus sexuels, leurs vies ont été carrément brisées. Résultats édifiants de la grande proximité avec le maître.

 

 

 

 

 

 

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